
À Paris, lors de la Journée de la Filière du 4 novembre 2025 à la Cité des sciences, Antonio Filosa n’a pas tourné autour du pot. En une formule qui claque : « les règles fixées par Bruxelles ne sont pas imparfaites, elles sont mauvaises », le nouveau patron de Stellantis a ciblé ce qu’il considère comme l’angle mort de la stratégie européenne : une régulation qui impose un seul chemin (le 100 % électrique) sans tenir compte des réalités du marché ni du pouvoir d’achat.
« Trois non, aucun oui »
Sur scène comme à la télévision la veille, Antonio Filosa a dressé un constat simple : l’Europe est la seule grande région automobile à ne pas avoir retrouvé ses volumes d’avant-Covid. La raison, selon lui, tient à un décalage profond entre les règles et la demande. « Ce que les clients veulent, ce dont ils ont besoin et ce qu’ils peuvent se permettre » : l’UE dirait non aux trois à la fois. À l’inverse, aux États-Unis, la liberté de choix redonnée aux consommateurs aurait relancé le marché et sécurisé des investissements massifs.
Bruxelles dans le viseur
Pour Antonio Filosa, l’Europe a « imposé la fin des technologies » dans lesquelles l’industrie savait exceller (thermique efficiente, hybridation) au profit d’un unique modèle, l’électrique, où les constructeurs chinois disposent d’une avance d’écosystème : matières premières, batteries, électronique de puissance, jusqu’à l’assemblage. Résultat : désavantage compétitif et accélération des importations.
Avant 2035, corriger 2026 et 2030
Le PDG ne veut pas d’un débat figé sur 2035. Il demande des corrections immédiates sur les paliers 2026 et 2030 :
- Utilitaires légers : trajectoire « très, très, très mauvaise ». Les cibles actuelles renchérissent trop le coût total de possession pour des artisans et petites entreprises, qui gardent alors de vieux fourgons… plus polluants. Il faut revoir les objectifs et le calendrier.
- Voitures particulières : privilégier les petites électriques (incitations ciblées, super-crédits) plutôt que de pousser des segments plus lourds et chers.
Neutralité technologique et renouvellement du parc
L’axe central, répété avec insistance : la neutralité technologique. Autrement dit, permettre à plusieurs solutions décarbonées de coexister (hybrides, prolongateurs d’autonomie, carburants bas carbone…) au lieu d’imposer une exclusivité technologique. Filosa plaide aussi pour un plan de renouvellement accéléré d’un parc européen vieillissant : plus de 150 millions d’autos ont plus de 12 ans. Remplacer ces véhicules par des modèles récents, quelle que soit l’architecture retenue, réduirait immédiatement les émissions réelles.
« Le problème, ce n’est pas la Chine, c’est l’Europe »
Là où d’autres dirigeants désignent Pékin, Filosa nuance : la compétition chinoise est réelle, mais l’erreur serait d’y répondre par une unique contrainte supplémentaire. La priorité, dit-il, est d’adapter les règles pour laisser à l’industrie européenne le temps de reconstruire un écosystème complet, du raffinage aux cellules de batteries, sans perdre davantage de parts de marché.
Ce que la filière automobile demande, concrètement
- Assouplir dès maintenant 2026 et 2030, surtout pour les utilitaires.
- Neutralité technologique en 2035 plutôt que 100 % électrique strict.
- Avantage réglementaire aux petites électriques (bonus, super-crédits).
- Renouvellement du parc via des mécanismes ciblés et efficaces.
- Débat sur le contenu local pour reconstituer une base industrielle, sans nuire à la compétitivité.
Au-delà des mesures, Filosa repositionne le débat sur trois réalités : l’acceptabilité pour les ménages, la compétitivité face aux écosystèmes intégrés asiatiques, et le rythme de transformation que peut absorber la filière sans casse sociale. Si Bruxelles ouvre la porte à des ajustements rapides, il promet plus d’investissements en Europe. Sinon, les capitaux iront là où la demande, et les normes, convergent.
