
Il y a des voitures qui s’oublient vite, soit qu’elles n’aient pas marqué spécialement l’histoire d’une marque, soit qu’elles restèrent très confidentielles ou encore n’eussent pas un physique facile : Alfa 6, Ferrari Mondial, Lamborghini Silhouette… Souvenez-vous, ou pas ! La Lancia Trevi est sûrement à classer dans cette catégorie. Produite entre 1980 et 1984, cette berline compacte venait chapeauter la gamme Beta, dont elle constituait la version tricorps. Son nom, “Trevi”, provenait de l’expression italienne « Tre Volumi » (trois volumes), en référence à sa silhouette à coffre séparé. Si La Beta a quand même conservé une certaine notoriété, bien aidée aussi par sa carrière sportive, la Trevi a vite disparu des radars et n’a eu d’ailleurs qu’une très courte carrière avec seulement 40 000 exemplaires écoulés.
Lancia Trevi : design suranné
Il faut dire que le design n’était pas le point fort de la Trevi. Le style se veut certes élégant et statutaire, conformément à la “patte” Lancia, mais les lignes ne sont pas idéalement équilibrées et l’ensemble fait déjà démodé en 1980 avec son profil haut et son coffre bien carré. Alors que Lancia nous avait habitués à un design audacieux avec la Stratos, la Trevi est étonnante de classicisme et de sobriété, dans la veine du style Peugeot des années 70. Toutefois, la clientèle traditionnelle Lancia n’ayant pas accueilli avec enthousiasme l’atypique Beta, le directoire avait jugé nécessaire de revenir en arrière, d’où cette allure un brin vieillotte dessinée par Pininfarina.

La Trevi se distinguait aussi par un intérieur audacieux, conçu par Mario Bellini, qui fut le designer des machines à écrire Olivetti et signera plus tard les galeries du Louvre. L’intérieur, résolument moderniste, suscita aussi son lot de moqueries de certains cadres qui se demandèrent qui avait bien pu valider ça : le tableau de bord très original se caractérisait par son design “lunaire”, composé d’une pléiade de compteurs et de boutons ronds, 29 au total, disposés tels des cratères. À défaut d’être pratique, le design avait le mérite de l’originalité et reçut plusieurs sobriquets, dont le “nid à poussière”.

La Lancia Trevi était disponible avec plusieurs motorisations issues de la famille Lampredi, allant de 1,6 à 2,0 litres. Elle offrait un comportement routier équilibré, une bonne tenue de route et le raffinement habituel de Lancia à cette époque. En 1982, Lancia met à profit son expérience de la compétition et commercialise la Trevi dans une variante “Volumex”, équipée du moteur FIAT à double arbre à cames en tête de 2 litres et d’un carburateur, auquel avait été ajouté un compresseur volumétrique à lobes. Ce dernier portait la puissance à 135 ch, la vitesse maximale à 190 km/h et surtout le couple à 205 Nm.
La Lancia Trevi Bimotore
En 1984, le département compétition de Lancia travaille sur le remplacement de la Rally 037 : bien que cette dernière ait remporté le titre mondial en 1983, elle ne pouvait plus se reposer uniquement sur la propulsion, les constructeurs du Groupe B se ruant vers la transmission intégrale après l’entrée fracassante et révolutionnaire de l’Audi Quattro. Mais le groupe Fiat ne disposant pas encore d’une technologie de transmission intégrale viable, Giorgio Pianta, pilote, essayeur et directeur d’équipe chez Abarth, tenta de contourner l’impasse par une solution non conventionnelle.



Ayant jeté son dévolu sur une Trevi Volumex, fleuron de la gamme Lancia à l’époque, principalement en raison de son compresseur volumétrique du même nom, il décida de transplanter un second moteur quatre cylindres sur une Lancia Trevi, dupliquant ainsi tout l’avant, moteur, boîte de vitesses et suspension à l’arrière, afin d’obtenir ainsi une transmission intégrale « artisanale ». Pianta reprend donc à son compte l’idée “farfelue” testée par Wainer sur l’Alfasud Bimotore quelques années plus tôt. Le choix inhabituel de la voiture, une berline tricorps, semblait inadapté au rôle sportif qu’elle était censée remplir. Néanmoins, Pianta bénéficiait du soutien d’Alberto Fiorio, directeur de l’usine de Chivasso, et de Cesare Fiorio, directeur sportif de l’équipe HF Racing
Presque 300 ch sur une sage berline familiale
Chaque moteur Lampredi 2.0 à compresseur développait environ 135 ch, portant la puissance totale à près de 270 ch. La Trevi Bimotore bénéficiait ainsi de performances redoutables pour une berline de son époque, même si sa conception restait expérimentale et ne fut jamais destinée à la production. Le moteur additionnel, qui prend la place du siège arrière, est couplé à la boîte de vitesses. L’ensemble est fixé à un châssis soudé à la carrosserie. De plus, la cage du second moteur contribue, grâce à des traverses, à rigidifier la structure de la voiture, à laquelle sont également soudées les portes arrière. Un gain de 15 ch supplémentaires a également été obtenu pour chaque moteur, grâce à l’ajout de poulies de plus petit diamètre qui ont augmenté la vitesse de rotation des compresseurs Volumex.


L’échappement avant sort sur le côté gauche, tandis que l’échappement arrière se situe à l’arrière. Pour faciliter le refroidissement du moteur central, les aérations du cockpit étaient orientées vers l’extérieur et équipées de deux prises d’air fixées sur les portes arrière. Les mécaniciens avaient unifié le fonctionnement des groupes mécaniques, permettant ainsi au pilote de contrôler les deux moteurs directement depuis son siège. Le tableau de bord dispose de deux compte-tours, le second à la place du compteur de vitesse, et les deux instruments centraux indiquent la température de l’eau et la pression d’huile de chaque moteur.




Grâce à une commande électronique assez basique, les deux carburateurs Weber modèle 36 agissent sur un câble Bowden , appliquant ainsi un léger délai à l’allumage du moteur arrière afin de réduire le survirage. Un vrai bidouillage de sorcier !
Imparfaite, mais inspirante pour la Delta S4
Quant au châssis, il s’agissait d’une berline à structure porteuse et carrosserie en acier, peinte aux couleurs historiques des voitures de sport Lancia : un rouge Montebello avec une bande centrale jaune et bleue. Elle était équipée de suspensions indépendantes à jambes de force MacPherson à l’avant et à l’arrière, de ressorts hélicoïdaux, de barres antiroulis et d’amortisseurs hydrauliques télescopiques. Un réservoir de 130 litres, destiné à alimenter les deux moteurs, était placé dans le coffre. La voiture pouvait atteindre une vitesse de 230 km/h, une vitesse alors réservée aux supercars.




Lors de la phase de test, la Bimotore s’est révélée très performante. Cependant, elle est restée au stade de prototype, car plusieurs problèmes fondamentaux étaient difficiles à résoudre : le moteur central surchauffait trop, en dépit des prises d’air supplémentaires, et le poids était évidemment excessif en raison de sa double mécanique, difficilement exploitable en compétition où la rapidité de la maintenance est décisive. Peugeot va démontrer le bien fondé des petites compactes à moteur central arrière avec la 205 T16. Malgré cela, certaines de ses solutions, comme la cage abritant le moteur central et les jantes en alliage amovibles spécifiques, seront ultérieurement reprises sur la Delta S4, héritière routière de la 037, dont la version course débute en championnat du monde au cours de la saison 1985.
