Quand Ayrton Senna et McLaren ont failli rouler avec un moteur V12 Lamborghini

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A la fin de la saison 1992, tandis que Honda annonce son retrait de la F1, le V10 Renault est devenu la nouvelle référence, comme en atteste l’outrageuse domination de Williams. Désormais privé du motoriste nippon, Ron Dennis, le patron de McLaren, fait des pieds et des mains pour récupérer le moteur français, car sa pire crainte est de perdre son champion, Ayrton Senna. Le brésilien veut évidemment le meilleur matériel pour vaincre : il réclame à cor et à cri le V10 de Viry-Châtillon et lorgne vers le baquet de Williams, que Nigel Mansell quitte après son sacre. Dennis est même prêt à racheter l’écurie Ligier, équipée du V10 Renault, mais différentes raisons techniques, contractuelles et politiques empêchent le deal.

Bloqué par Prost, qui a été recruté par Williams mais a opposé son veto à une nouvelle cohabitation avec son “pire ennemi”, Senna est contraint de rester chez McLaren en 1993, monnayant très cher ses services. Ayant échoué à récupérer le V10 Renault, Ron Dennis doit se rabattre sur le V8 Ford, mais dans sa version “client”, c’est à dire avec des spécifications inférieures à celui de Benetton, l’écurie partenaire officielle !  La saison confirme les craintes de Senna. Au volant d’une McLaren MP4/8 réussie, le brésilien réalise certes une saison magnifique, ponctuée par 5 victoires, dont la légendaire course de Donington, mais le V8 Ford ne lui permet pas de contrarier Williams-Renault et Alain Prost dans sa quête d’un 4e titre mondial.

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Lamborghini en quête d’un vrai partenaire !

Alors que Prost annonce sa retraite et que Senna semble prêt à bondir chez Williams, Dennis joue son va-tout et saisit une opportunité : Lamborghini ! En 1987, le taureau, exsangue financièrement, était passé sous le contrôle du géant Chrysler, qui comptait beaucoup sur cette acquisition pour augmenter son image. Lamborghini était arrivé en F1 en 1989 avec un V12 atmosphérique conçu par Mauro Forghieri, l’ancien directeur technique de Ferrari. Sauf que le moteur italien a dû se contenter jusque-là de petites équipes, comme Larrousse Lola (1989-1990), Lotus (1990), Ligier (1991) Venturi et Minardi (1992), sans oublier la rocambolesque aventure Modena Team en 1991, avec un projet châssis-moteur 100% qui a tourné au fiasco.

Après le départ de Forghieri et l’échec de la monoplace 291, un directeur venu de Detroit, Mike Royce, a pris ses fonctions en 1992. Le moteur a progressé : son centre de gravité est abaissé, il reçoit un nouveau système de lubrification, tout en gagnant en puissance, en légèreté et en fiabilité. De 640 chevaux en 1990, le voici qui atteint 700 ch en 1992 et 710 ch en 1993. Chrysler, qui ne s’est pas encore débarrassé de ce gouffre financier, désespère de voir un jour ce moteur V12 dans un châssis digne de ce nom ! Ron Lutz, le PDG de Chrysler, rencontre Ron Dennis au salon de Francfort et les deux hommes se mettent d’accord pour un test.

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Des essais prometteurs !

Deux ingénieurs de Lamborghini, dont un ancien de Renault, Alain Marguet, sont dépêchés en Angleterre. A Woking, la base de McLaren, l’installation et l’adaptation du moteur Lamborghini prend quelques semaines. Le staff travaille d’arrache-pied pour intégrer le V12 italien, plus volumineux que le V8 Ford, dans une McLaren expérimentale dénommée MP4/8B. L’empattement et la carrosserie sont allongés, les radiateurs sont adaptés, les points d’ancrage du moteur au châssis et à la boîte de vitesses sont modifiés, ce qui donne une voiture désormais plus longue de 9,5 cm. Les essais, secrets, se font avec deux voitures, préparées pour Hakkinen et Senna, dans un premier temps sur le circuit de Pembrey, en Ecosse.

Nous avions rencontré récemment Alain Marguet, impliqué dans ce projet :

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Les chronos étaient meilleurs qu’avec le V8 Ford. C’était le début de la technologie « fly by wire», il n’y avait plus de câble d’accélérateur et les papillons d’admission du moteur allaient à une telle vitesse ! Comme c’est électronique, on pouvait changer la cinématique d’ouverture à notre guise, programmer les courbes, c’était extraordinaire ! Seul bémol, McLaren était équipé avec TAG Heuer pour la partie électronique alors que nous avions développé le V12 avec Bosch. Ils voulaient que nous passions à TAG pour leurs programmations électroniques. La mise au point n’était pas parfaitement aboutie, on perdait de la puissance à haut régime car le V12 avait un peu de ratés. Nous savions que nous avions encore des marges de progression dans ce domaine ainsi que dans l’adaptation du moteur au châssis.”

Par la suite, une autre séance d’essais fructueuse s’est déroulée à Estoril avec Senna, dans une McLaren blanche immaculée, vierge de tout sponsor. Senna a demandé une plage de puissance élargie avec moins de brutalité à hauts régimes et plus de couple à régimes moyens. Les chronos étaient secrets, mais plusieurs sources confirmèrent que ça tournait mieux qu’avec le Ford ! Dans certains secteurs, nous étions plutôt devant. Et pourtant, les moteurs utilisés étaient d’anciennes specifications dévolues à Larrousse.

Peugeot rafle la mise

Les retours sont dithyrambiques. A Silverstone, selon certains échos, Mika Hakkinen bat d’une seconde le temps établi avec le V8 Ford lors du grand prix d’Angleterre. La voiture a gagné en stabilité et l’usure des pneus est améliorée, même si la fiabilité est encore perfectible. Hakkinen a subi une casse moteur qui, selon ses dires, fut la plus forte qu’il n’a jamais ressenti ! Quoi qu’il en soit, Senna est catégorique : le package McLaren-Lamborghini est prometteur et devrait même commencer dès le GP du Japon 1993 !

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Pour des raisons évidemment contractuelles, Dennis refuse. Mais en réalité, le manager anglais a déjà changé d’avis. Dennis voulait la gratuité des moteurs et plus que cela, mais François Castaing, selon les dires d’Alain Marguet, opposa un refus catégorique. Qui plus est, avec la retraite de Prost, Senna a sauté sur la Williams pour 1994. Ron Dennis a déjà fait son choix : ce sera Peugeot, qui débarque en F1 avec l’ambition de défier Renault. Le Lion amène un prometteur V10 dérivé du moteur utilisé sur la 905 victorieuse en Endurance, fourni gratuitement qui plus est, ainsi qu’un soutien financier. Du côté de Lamborghini, c’est la déception après ce volte-face mais peu après, Chrysler revend la marque à des investisseurs indonésiens qui n’ont cure du sport automobile. La carrière du V12 Lamborghini s’acheva ainsi dans l’anonymat, après 80 courses et un seul petit podium à se mettre sous la dent. Dommage, car le package avait une sacrée gueule !

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