Modena Team : retour sur la douloureuse expérience de Lamborghini en Formule 1

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Dans les années 80, les frères Mimran, nouveaux propriétaires de la marque au Taureau, rompent avec la philosophie de Ferrucio Lamborghini : la marque fera de la compétition ! Un premier projet est développé en Groupe C avec la QVX, qui ne fait qu’une apparition en 1985 avant de disparaître.

En 1987, Chrysler Corporation achète Lamborghini et veut défier Ferrari sur son territoire de prédilection, la F1. Pour ce faire, Daniele Audetto prend la tête d’une nouvelle structure technique implantée à Bologne, Lamborghini Engineering, et recrute Mauro Forghieri. L’ancien directeur technique emblématique de la Scuderia Ferrari, qui vient de quitter Maranello, a pour tâche de développer un V12 atmosphérique, car la F1 abandonne les moteurs turbos fin 1988. Ce moteur propulse les Lola LC 89 de l’écurie Larrousse-Calmels en 1989 puis, en 1990, Lotus se rajoute à la liste des clients. Un podium est même obtenu par Aguri Suzuki au grand prix du Japon 1990 avec l’écurie Larrousse, qui termine 6e du championnat constructeur !

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Alliance italo-mexicaine

Mais un autre projet voit le jour en 1990. A cette époque, les budgets ne sont pas encore aussi faramineux qu’aujourd’hui et les projets se multipliaient en Formule 1. Cependant, dans le lot, beaucoup se sont avérés assez louches. A l’automne, un accord est conclu avec un homme d’affaires mexicain, Fernando Gonzalez Luna, qui promet de rassembler de nombreux investisseurs de son pays pour financer un projet d’écurie 100% mexicaine, GLAS (Gonzalez Luna Associates), à hauteur de 20 millions de dollars, avec un châssis et un moteur Lamborghini.

Tout est prévu, y compris le lancement d’un jeune espoir mexicain, Giovanni Aloi, qui doit faire ses classes en F3000 et mener un intense programme d’essais courant 1990. Mauro Baldi, ancien pilote Alfa Romeo et spécialiste des sports-protos, est aussi de l’aventure. Mauro Forghieri est évidemment le chef technique du projet et s’entoure d’ingénieurs de talent, comme Mario Tollentino, un ancien d’Alfa Romeo, qui prend en charge le châssis. Gonzalez Luna s’acquitte des premiers financements nécessaires.

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Quand Interpol s’en mêle

Une présentation en grande pompe est prévue à l’occasion du grand prix du Mexique 1990, avec la présence des partenaires financiers et même un premier roulage en public. Lamborghini envoie la monoplace à Paris, avant de l’expédier par avion. Mais patatras ! Quelques jours avant l’évènement, Gonzalez Luna disparaît dans la nature. Un mandat d’arrêt a été émis par Interpol, ce qui laisse présager d’activités quelque peu légales. Deux semaines plus tard, González Luna est toujours introuvable et le compte en banque de l’écurie est désormais vide. Lamborghini coupe les liens avec le Mexique et le contrat est rompu. La voiture et l’équipe deviennent la pleine propriété de Lamborghini qui cherche un repreneur au projet.

Des Italiens à la rescousse

Lamborghini trouve en la personne de Carlo Patrucco son sauveur. Ancien président de Fila, Patrucco est un membre éminent de la Confindustria, le puissant syndicat du patronat italien. Sous son impulsion, un consortium d’industriels italiens est rassemblé pour reprendre le projet GLAS et le mener à son terme.

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L’équipe prend ses quartiers à Modène et se nomme officiellement Scuderia Modena, car Lamborghini ne veut pas s’exposer pleinement… ni trop mettre la main au portefeuille. Emile Novaro et Daniele Audetto, le président de Lamborghini et le responsable du programme Formule 1, font leur possible pour convaincre Chrysler de financer un engagement comme constructeur. Patrucco et ses associés engagent la voiture sur leurs propres deniers, en espérant l’arrivée d’éventuels sponsors.  Pourtant, aux yeux du grand public, des médias et des tifosis, c’est bien le Taureau qui, officiellement, en tant que constructeur, entre dans l’arène !

Un premier test a lieu à Imola en Juillet 1990, avec Mauro Baldi au volant. La monoplace est créditée d’un temps de 1’31, à 4 secondes des références. Ça sent déjà la galère. Le châssis a été conçu pour le petit gabarit du mexicain Aloi, et les pilotes se plaignent de l’inconfort. Malgré toutes ces péripéties,  Modena Team est présent dans le paddock de Phoenix, Arizona, pour l’ouverture de la saison 1991. Très basse, la Lamborghini 291 est plutôt jolie et présente quelques originalités aérodynamiques, avec des montants latéraux triangulaires et surtout des pontons inclinés où sont placés les radiateurs. La livrée, dans différentes nuances de bleu, est agréable à l’œil et se couvre de quelques stickers de sponsoring… dont le Grana Padano ! Les deux pilotes recrutés sont Nicola Larini, un italien doté d’un joli coup de volant (qui fera les beaux jours d’Alfa Romeo en DTM deux ans plus tard) et le belge Eric Van de Poele qui apporte un budget personnel.

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Les galères

En tant que nouvelle écurie, la Scuderia Modena doit passer par l’ingrat exercice des préqualifications, le vendredi matin, qui permet d’écrémer le plateau composé de 34 voitures ! Un terrible couperet, sans préparation, où les sans-grades de la F1 joue leur va-tout dans l’espoir de continuer leur weekend. Seul Larini parvient à s’en extirper et obtient même une belle 17e place aux essais. En course, à la faveur des abandons, l’italien termine la course 7e, à la porte des points, et a pu afficher un rythme de course très honorable. Encourageant !

Au Brésil, les deux voitures sont éliminées dès les préqualifications. A Imola, seul Van de Poele s’en extirpe, grâce à la puissance de son moteur, alors que les autres écuries de fond de grille doivent souvent se contenter d’un V8 Cosworth périmé. 17e sur la grille de départ, il affiche un rythme très correct, devançant à la régulière les Ligier, les Lotus ou les Larrousse. A la faveur de conditions délicates et d’une course à élimination, Van de Poele est près de l’exploit. A l’entame du dernier tour, il est en 5e position…quand la voiture tombe en panne sèche ! L’ordinateur de bord indiquait encore du carburant mais rien n’y fait. A la radio, l’ingénieur de piste de Van de Poele répondra à son pilote, qui demandait ce qu’il pouvait faire : « la seule chose que tu peux faire est de pleurer ».

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Un taureau ? Plutôt une mule…

Modena Team a mangé son pain blanc, car les choses se corsent par la suite : les caisses sont de plus en plus vides, les sponsors ne se bousculent pas et Lamborghini commence à s’impatienter de cette farce. Les pilotes enchaînent les non-qualifications, les V12 cassent comme du verre et Forghieri, au caractère difficile notoire, est contesté dans l’équipe ! A mi-saison, les Lamborghini sont exemptées des préqualifications, grâce à la 7ème place de Larini à Phoenix, mais échouent en qualifications la plupart du temps. Quand elles arrivent à apparaître en course, essentiellement sur les circuits de vitesse qui confirment la puissance du V12, c’est dans l’anonymat le plus total.

En marge du grand prix d’Espagne, Chrysler reprend le contrôle de Lamborghini Engineering. Selon certaines rumeurs, ces manœuvres ont pour but de mieux encadrer Mauro Forghieri, surnommé “Furia”. On annonce que seules les écuries Minardi et Larrousse bénéficieront du V12 italien en 1992, actant la mort de Modena Team. Mauro Forghieri est finalement licencié et remplacé par François Castaing, l’ancien patron de l’aventure Turbo Renault et précédemment directeur des opérations chez Chrysler. L’écurie finit difficilement l’année, faute de moyens. La dernière apparition a lieu en Australie, où Larini abandonne sous la pluie au bout de 6 tours. Lamborghini continuera l’aventure en F1 pendant deux saisons comme motoriste, avec Venturi puis Larrousse, avant d’abandonner fin 93.

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Olé !

Ironie de l’histoire, le jeune mexicain Giovanni Aloi, qui devait être propulsé en F1 avec GLAS, a finalement abandonné quelques temps plus tard la compétition automobile pour devenir…matador ! Il a d’ailleurs accompli une belle carrière dans ce domaine, devenant très populaire au Mexique. Un comble pour celui qui n’a jamais eu l’occasion de dompter la puissance du taureau Lamborghini en monoplace !


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