
Quand on pense SUV Lamborghini, on imagine spontanément l’Urus, best-seller mondial de la marque. Mais bien avant ce modèle ultra-rentable, il a existé un SUV encore plus extravagant, plus rare… et plus familial. Sa base, vous la connaissez peut-être : le LM002, ce 4×4 totalement déluré des années 80, à mi-chemin entre un engin militaire et un jouet pour millionnaire. Sauf qu’un client très particulier a jugé que le LM002 « de série » n’était ni assez luxueux, ni assez pratique pour sa vie de famille.
Ce client, c’est le Sultan de Brunei (dont nous avons déjà parlé avec la Ferrari F90). Et c’est lui qui, au milieu des années 80, a donné naissance à ce qui est probablement le vrai ancêtre spirituel de l’Urus : un LM002 transformé en énorme break 7 places, officiellement validé par Lamborghini, motorisé par un V12 de Countach, et équipé… d’une télévision à tube cathodique dans le coffre. Oui, ce SUV Lamborghini familial a bien existé. Et son histoire est digne d’un scénario de film.
Du SUV LM002 au break royal
Tout commence en 1986 avec un LM002 tout ce qu’il y a de plus « normal ». Châssis KLA12162, V12 de supercar, pneus Pirelli Scorpion dantesques, allure de véhicule de raid dans le désert. En 1989, le LM002 du Sultan de Brunei prend une toute autre direction. Le royal propriétaire veut transformer ce pick-up de luxe en limousine familiale. La mission est confiée à un maître carrossier italien, Salvatore Diomante.


Le résultat n’a plus grand-chose à voir avec le LM002 d’origine puisque la benne arrière disparaît, le toit est allongé et surélevé, la silhouette devient celle d’un break géant, l’habitacle arrière est complètement redessiné. À la place de la simple aire de chargement, Salvatore Diomante crée un salon roulant : banquette en U, ambiance lounge, ciel de toit travaillé, éclairages, et surtout un équipement totalement délirant pour l’époque : une télévision à tube cathodique logée dans la partie arrière, comme dans certaines limousines de dirigeants des années Reagan. En gros, c’est un salon VIP monté sur un 4×4 Lamborghini, avec le même V12 que la Countach.



Un projet fou… mais validé par Lamborghini
Ce qui rend cette voiture encore plus intéressante, c’est qu’il ne s’agit pas d’un bricolage fait dans un coin de garage, mais bien d’un projet officiellement validé par Lamborghini. Dans une vidéo tournée en Suède, le propriétaire insiste sur ce point : il existait bien plusieurs LM002 transformés, mais un seul break de ce type a été validé comme « légitime » par la marque de Sant’Agata Bolognese. C’est celui-ci.



Sous le capot, Lamborghini ne fait aucun compromis : le LM002 break conserve le V12 5,2 litres à quatre arbres à cames et six carburateurs Weber, dans sa configuration Countach QV, donnée pour environ 450 ch. Pas de dégonflage pour le rendre plus docile ou plus « SUV familial ». La puissance est transmise à une boîte manuelle ZF à 5 rapports, avec trois différentiels verrouillables. En clair, ce mastodonte peut théoriquement grimper dans le désert avec la même dévotion qu’un LM002 « standard », tout en promenant une famille entière dans un salon en cuir à l’arrière. Seul détail : la transformation ajoute quand même 500 kg par rapport à un LM002 déjà pas franchement léger. On parle d’une voiture qui dépasse largement les trois tonnes.
De la cour du Sultan, à la direction de BMW et Volkswagen, et enfin la Suède
Après quelques années passées dans l’extraordinaire collection du Sultan de Brunei, ce LM002 pas comme les autres change de vie. Il quitte l’Asie pour l’Europe et passe entre les mains d’un autre personnage clé de l’industrie automobile : Bernd Pischetsrieder, ancien patron de BMW puis de Volkswagen. Loin d’être un simple caprice, la voiture est alors prise très au sérieux. Elle est expertisée et certifiée par des spécialistes de la marque, puis inscrite dans les registres historiques de Lamborghini comme un exemplaire unique officiellement reconnu. Le genre de détail qui fait toute la différence dans le monde des collectors. On imagine sans mal l’effet que pouvait produire ce break V12 lorsqu’il se garait devant le siège d’un grand groupe automobile…

Le plus incroyable, c’est ce qui se passe ensuite. Dans les années 2010, le LM002 break atterrit en Suède. Il est importé, immatriculé, et finit par être acheté… par une famille. Une propriétaire suédoise l’utilise alors pour amener ses enfants à l’école. La scène est facile à imaginer : devant le lycée, une file de Volvo, quelques SUV allemands… et au milieu, ce monstre de plus de 3 tonnes, V12 de Countach, pneus Pirelli Scorpion en 345 de large, échappement qui gronde, silhouette de camion militaire transformé en limousine. Selon le récit fait par le collectionneur qui l’expose aujourd’hui, les enfants devenaient des stars à chaque dépose. Et le LM002 break servait vraiment de navette familiale, rempli d’amis à l’arrière, sur cette banquette en U digne d’un mini salon. Oui, ce SUV Lamborghini familial a réellement servi de voiture de tous les jours, au moins pendant une période de sa vie.
Une vie cachée, puis redécouverte en Suède
Après cette utilisation inattendue, le LM002 break disparaît à nouveau des radars. Le collectionneur suédois qui le possède aujourd’hui raconte qu’il a mis près de huit ans à réussir à l’acheter. Lorsqu’il finit par le récupérer, la voiture est littéralement recouverte de poussière, comme une vraie sortie de grange. Depuis, elle a été réveillée : le V12 a bénéficié d’une grosse révision, les carburateurs ont été refaits, et la voiture roule à nouveau, même si certains éléments restent dans leur jus, comme la peinture argentée marquée par le temps et quelques cloques. La teinte d’origine était noire, mais son aspect un peu patiné fait aujourd’hui partie de son charme.

Les compteurs affichent à peine plus de 11 000 km. Pour un véhicule de 1989 passé par Brunei, l’Allemagne, puis la Suède, c’est presque irréel. Dans la vidéo que vous pourrez visionner en fin d’article, on voit la voiture quitter la salle d’exposition, puis s’élancer sur la route. Le V12 hurle, le conducteur peine à voir ce qui se passe devant tant le capot bombé et les prises d’air masquent la vue.
Un Urus avant l’heure
Pourquoi cette voiture intéresse-t-elle autant aujourd’hui ? Parce qu’elle coche toutes les cases du Urus avant l’heure. C’est un SUV de luxe, familial, à la fois déraisonnable et utilisable, commandé par un client ultra fortuné, avec une mécanique de supercar, et un niveau d’excès qui correspond parfaitement à l’ADN Lamborghini. À l’époque, ce LM002 break n’a évidemment pas débouché sur une production en série. L’économie de Lamborghini était fragile, le marché n’était pas encore mûr, et le concept de « SUV de luxe » restait marginal. Mais, vu d’aujourd’hui, difficile de ne pas y voir une sorte d’ébauche du cahier des charges de l’Urus. Alors combien ça vaut ? Et bien, il est actuellement à vendre aux enchères et le prix a pour le moment dépassé les 220 000 €.
