L’histoire du V10 Alfa Romeo : un moteur précurseur, mais maudit, qui n’a jamais participé à la moindre course !

Publicité

25 ans après les exploits de la légendaire Alfetta 159, Alfa Romeo était revenu en F1 en 1976, d’abord comme motoriste de Brabham avec un 12 cylindres à plat, puis, à partir de 1979, avec un projet 100% maison reposant sur un moteur V12 à 60° de 3 litres, plus adapté aux voitures à effet de sol. Malgré ses difficultés financières, le Biscione persista et Autodelta développa un moteur turbo pour la saison 1983. Sauf que le choix du 8 cylindres fait par Carlo Chiti, alors que la plupart des autres motoristes optèrent pour un 4 cylindres ou un 6 cylindres, s’avéra inapproprié. La mécanique était trop lourde, pénalisée par des turbines au temps de réponse trop long qui avaient la fâcheuse tendance à surchauffer. Des turbines KKK plus efficaces avaient été testées, mais, pour des raisons “politiques”, on avait préféré les modèles de la filiale Alfa Romeo Avio. Le moteur était dépourvu initialement d’injection électronique, Alfa Romeo ayant préféré une solution interne mécanique, qui entraîna des soucis de surconsommation et de mauvaise gestion du mélange air-carburant, à l’origine de nombreuses pannes.

En 1983, le Biscione connaît malgré tout sa meilleure saison de “l’ère turbo” avec quelques podiums, mais la fiabilité est très aléatoire. Le passage aux turbos KKK et à l’injection électronique Bosch en 1984 ne fait pas de miracles.

Publicité

Pis, la saison 1985 est simplement catastrophique, avec un zéro pointé au championnat. À l’issue de la saison, Alfa Romeo se retire en toute discrétion. La marque continue de fournir son 8 cylindres turbo à la petite écurie Osella, exigeant néanmoins en 1988 que le moteur soit débaptisé et renommé Osella, histoire de ne pas trop entacher l’image du Biscione avec des monoplaces abonnées au fond de grille, voire aux non-qualifications !

Un V10 en F1 pour Ligier ? Non !

Malgré l’échec de son écurie, Alfa Romeo ne renonce pas à la F1 pour autant et développe, courant 1985, un nouveau 4 cylindres turbo. En 1986, un partenariat est conclu avec Ligier, qui en a assez de payer ses V6 Renault trop chers. Cette année-là, le décès tragique d’Elio De Angelis au Castellet agit comme un détonateur : la FISA annonce que les moteurs turbo seront bridés, puis bannis à l’issue de la saison 1988 et remplacés à partir de 1989 par des moteurs atmosphériques de 3.5 litres de cylindrée.

Publicité

Ça tombe bien, car le deal avec Ligier prévoit la fourniture d’un moteur atmosphérique lorsque la nouvelle règlementation entrera en vigueur. Depuis novembre 1985 en effet, les ingénieurs italiens travaillent sur un moteur atmosphérique révolutionnaire et inédit en F1, un V10, qui tourne déjà sur le banc ! Le directeur technique d’Alfa Corse, Gianni Tonti, a confié à l’ingénieur d’Agostino ce projet “ Tipo 1035”, qui doit fournir le meilleur compromis entre la compacité et la sobriété du V8 et la puissance du V12. Fait méconnu, Alfa est donc le précurseur du V10 en F1, avant Honda et avant Renault, qui lancera ses propres études en 1987 après son retrait de la F1 fin 1986. Le concept du V10 est jugé prometteur, avec un bloc-cylindres et une culasse en alliage aluminium-silicium, des pistons en aluminium, une distribution à quatre soupapes en titane par cylindre (puis cinq rapidement), commandées par quatre arbres à cames avec variateurs de phase. Bref, un moteur sophistiqué, dans la veine des grands moteurs conçus dans le passé.

Mais à l’approche de la saison 1987, patatras ! Ligier teste avec René Arnoux le 4 cylindres turbo Alfa Romeo, donné pour 900 chevaux dans son ultime évolution. Les essais menés au Paul Ricard s’avèrent désastreux, plombés par de nombreux ennuis techniques. Agacé, le pilote Français s’épanche dans la presse et ne mache pas ses mots, critiquant ouvertement le manque de compétitivité du moteur et mettant en doute le professionnalisme de l’équipe technique. 

Publicité

Ni une, ni deux, humiliée par cette gifle médiatique dont les médias italiens se gargarisent, Alfa Romeo rompt le contrat avec Ligier, deux semaines avant le début de la saison ! Sans moteur, l’écurie tricolore rate la 1ère course de la saison 87 avant de se rabattre en urgence sur le V8 Megatron (ex-BMW) totalement dépassé.

Bernie Ecclestone à la rescousse

En réalité, si les déclarations de René Arnoux sont montées en épingle pour justifier la rupture, c’est FIAT qui met le holà, juste après avoir racheté et sauvé le Biscione du naufrage : il est hors de question pour la firme turinoise de voir Ferrari et Alfa Romeo s’écharper en F1, d’autant qu’Alfa Romeo est en délicatesse financière et doit moderniser d’urgence sa gamme. Vittorio Ghidella, le patron de FIAT, n’a jamais cru dans ce projet, fait avec des moyens somme toutes limités, et saute sur l’occasion pour tout arrêter… Le Biscione se retrouve ainsi avec un moteur V10 sur les bras, qui a coûté une coquette somme de développement.

Publicité

Mais heureusement, un Deus ex Machina surgit : Bernie Ecclestone ! En effet, ce dernier, qui vient d’être conforté comme le “roi de la F1” avec les Accords Concorde, cherche à se débarrasser d’un boulet : l’écurie Brabham, devenue le cadet de ses soucis. Privée de son génial ingénieur Gordon Murray ainsi que de BMW, Brabham n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les « Accords Concorde II » garantissent à l’anglais une mainmise absolue sur le business F1 mais aussi un droit de regard sur les autres championnats FIA.

Pour agrémenter le show de la F1, il songe à refaire le coup du Procar, ce championnat qui avait été lancé en 1979 en lever de rideau des grands prix de F1, avec la BMW M1. Le concept ? Une formule Silhouette spectaculaire, inspirée de la Nascar, mais en plus sophistiqué avec un châssis et des moteurs type F1 !  Qui plus est, cela pourrait peut-être faire de l’ombre au Groupe C, la catégorie reine de l’Endurance, qui prend trop d’ampleur à son goût.

Publicité

Un V10 pour une super Alfa Romeo 164 ? Non !

Alfa Romeo, qui avait gardé de bonnes relations avec Ecclestone, se montre intéressé. Cela permettrait de caser leur fameux V10 et de faire la promotion de la nouvelle berline milanaise, l’élégante 164. Alors même que le nouveau championnat Procar n’est pas clairement établi, Alfa Romeo se lance dans l’aventure et…rachète Brabham à Ecclestone, afin d’avoir une base pour développer le châssis ! Malin, Bernie !

L’Alfa Romeo 164 Procar est construite courant 1988. Caisse surbaissée, jantes carbones, bas de caisse et spoiler arrière, la voici transfigurée en une berline musclée pour papa pressé. Mais derrière son allure de berline tunée se cache un véritable prototype : le châssis est une monocoque en carbone avec une carrosserie en kevlar ultralégère. Le moteur, en position centrale arrière, est le fameux V10 Alfa 3500cc avec un angle de 72°, donné pour 620 chevaux à 11800 tr/min et un couple exubérant de 390 Nm à 9500 tr/min.

Publicité

Avec seulement 750 kilos sur la balance, la 164 est un vrai missile, qui, à l’occasion d’essais menés à Balocco, abat le 0 à 100 Km/h en 2,1 secondes et atteint 340 Km/h, soit plus que les F1 de l’époque ! A Monza, en 1988, la 164 Procar, pilotée par Riccardo Patrèse, fait une petite démonstration en marge du grand prix et plaît au public. Mais, face aux coûts exorbitants de cette nouvelle formule, aucun autre constructeur n’emboîte le pas d’Alfa Romeo. Le Procar est un projet mort-né et la super 164 est un prototype destiné à rejoindre le musée.

Fini ? Non ! Toujours sous l’impulsion d’Ecclestone, la FIA annonce que les voitures de sport du Groupe C seront régies à partir de 1991 par une nouvelle règlementation basée sur des moteurs atmosphérique de 3.5 litres de cylindrée, identiques aux moteurs de F1. Le changement de règlementation surprend, mais les autorités, tout en promettant les prototypes les plus performants jamais conçus, prétendent que cela réduira les coûts et attirera davantage de marques.

Publicité

Un V10 Alfa au Mans ? Non !

La plupart des constructeurs sont dans l’expectative, mais Alfa Romeo saute sur l’occasion. Ferrari ayant l’apanage de la F1 et Lancia celui du Rallye, FIAT oriente le Biscione vers les sport-prototypes, donnant ainsi une nouvelle chance pour son moteur. C’est aussi l’occasion pour Alfa Romeo de renouer avec une discipline où elle avait connu le succès dans les années 70 avec la Tipo 33.

Un groupe d’ingénieurs Abarth et Alfa Corse s’attelle à la conception du prototype baptisé SE 048SP, pour Sport Experimental 048 Sport Prototipo. Le design de l’ingénieur Petrotta, élégant et efficace, repose sur une monocoque en fibre de carbone, avec les radiateurs montés à l’avant, des enjoliveurs de roue arrière réducteurs de traînée et des roues arrière carénées et couvertes.  La silhouette est très réussie, à la fois racée et futuriste, magnifiée par une calandre qui reprend le fameux Scudetto.

Publicité

Le moteur est d’abord testé sur une vieille Lancia LC2, mais les essais révèlent que le V10 Alfa, conçu à la base pour des sprints de F1, ne peut pas tenir la cadence en Endurance. À plusieurs reprises, l’entraînement par courroie du moteur casse, entraînant d’innombrables soupapes tordues et laissant présager d’une fiabilité catastrophique. Les coûts de mise à niveau étant jugés mirobolants, la direction de FIAT ordonne la mise au placard du moteur Alfa Romeo V10 « maudit », pour implanter à la place le moteur Tipo 036 V12 Ferrari à 60 soupapes et injection directe, directement issu de la monoplace 641 de la Scuderia. Avec 680 chevaux, le moteur Ferrari donnait satisfaction en termes de performance, mais il n’était pas non plus pensé pour les longues distances.

Fin prématurée

Nouveau rebondissement en septembre 1990 : suite à des changements à la tête de la direction, FIAT ordonne l’abandon pur et simple du projet. Gianpiero Moretti, créateur de l’équipementier MOMO, était sur les rangs pour engager la 048SP dans le championnat américain IMSA mais l’affaire ne fut pas conclue, précipitant sans doute la décision. Alfa Romeo est alors réorientée vers les courses de tourisme, avec un nouveau projet, la 155 GTA, qui sera promis à un bel avenir. La décision fut finalement judicieuse, car la nouvelle formule 3.5 litres du Groupe C périclita rapidement et le championnat du monde disparut fin 1992. Le V10 Alfa Romeo n’aura ainsi jamais eu sa chance…

Publicité
YouTube vidéo

Vous aimez cet article ? Partagez !

Publicité

Partagez votre avis