
L’histoire d’Alfa Romeo regorge de prototypes de compétition alléchants qui n’ont jamais abouti ou n’ont jamais été engagés en compétition. Nous remontons le temps avant la Seconde Guerre mondiale, avec la Tipo 512 qui innovait dans bien des domaines.
Alfa Romeo démuni face au rouleau compresseur allemand
A partir de 1934, les marques italiennes et françaises, qui monopolisaient la plupart des victoires depuis de nombreuses années, rentrent dans le rang. A grand coup de millions de reichsmarks, généreusement alloués par le nouveau régime nazi, les constructeurs Mercedes et Auto-Union ont reçu pour mission de triompher dans les grands prix. C’est pour le Reich un enjeu éminemment politique, qui doit symboliser la motorisation d’une Allemagne conquérante et technologiquement avancée, donner du grain à moudre à la propagande et tester de nouvelles solutions pour la future guerre mécanisée. Fortes de moyens colossaux et d’une supériorité technologique évidente, les écuries allemandes accumulent victoires et titres, reléguant les voitures italiennes au rôle de figurantes, hormis quelques exploits tels que celui de Tazio Nuvolari au Nürburgring en 1935.

Si Mercedes rafle l’essentiel des lauriers, c’est Auto-Union qui créé la sensation en dévoilant la monoplace Type A. Conçue par Ferdinand Porsche, cette machine révolutionne la course avec une architecture inédite du moteur, placé en position centrale arrière, derrière le pilote. Ce dernier se trouve placé très en avant de la voiture, avec la cavalerie, un moteur V16, dans le dos. Nous sommes plus de vingt ans avant la révolution du moteur arrière en F1 avec Cooper et Lotus ! Le concept évolue constamment, avec en apothéose la Type C de 1936 qui dispose d’un châssis poutre en aluminium et un V16 suralimenté de 520 chevaux ! Avec son moteur central arrière et sa puissance démoniaque, les Auto-Union sont très délicates à conduire, pour ne pas dire dangereuses, mais leurs performances sont étonnantes.
Ça se corse pour Alfa Romeo
Alfa Romeo a bien essayé de répliquer, sans succès. Outre ses récurrents problèmes financiers et une gestion sportive où interfèrent le directoire de la marque, l’État italien et Ferrari, les monoplaces 8C-35 et 12C-36 puis 12C-37 n’ont pas été en mesure de succéder dignement à la P3. Quant à la 308, introduite en 1938 conformément à la nouvelle formule 3 Litres, elle manque cruellement de puissance face aux allemandes. Il faut dire que la marque s’est dispersée à cette époque, en développant tous azimuts…,trois motorisations différentes : 8 cylindres en ligne, V12 et V16 ! Le grand Nuvolari, exaspéré par les problèmes techniques et le manque de performances, est même passé chez Auto-Union en 1939 !
À partir de 1938, Alfa Romeo renonce à défier Mercedes et Auto-Union dans la Formule 3 litres internationale (celle qui sert de base au championnat d’Europe) et mise sur la catégorie inférieure des “voiturettes” 1,5 litre, qui devait, à partir de 1940, devenir la nouvelle norme des Grands Prix. Ferrari supervise ainsi le développement de l’Alfa Romeo 158, motorisée par un 8 cylindres en ligne de 1500cc à compresseur Roots, laissant Mercedes et Auto-Union se partager les lauriers dans la formule reine des grands prix.

Révolution(s) chez Alfa
La gestion sportive a également connu un important changement, en repassant sous le contrôle direct du constructeur via son département course officiel Alfa Corse, qui absorbe la Scuderia Ferrari, et transfère les infrastructures depuis Modène jusqu’à Portello. En 1939, Alfa Romeo réfléchit déjà à remplacer la 158 en prévision de la saison 1940. Enzo Ferrari a claqué la porte, ne supportant plus la perte de liberté et de contrôle qu’il avait au temps de la Scuderia. Mais l’ingénieur espagnol Wifredo Ricart, dont les relations avec Ferrari furent tendues, se met à la tâche pour concevoir une monoplace novatrice. Adepte des mécaniques nobles et sophistiquées, que l’on retrouvera après-guerre chez Hispano-Suiza, Ricart a succédé à Vittorio Jano, parti chez Lancia. Il avait déjà conçu l’impressionnante Tipo 162, mue par un V16 à 135°, compressé, de 3 litres de cylindrée et 490 chevaux ! La Tipo 512 doit marquer une véritable révolution, à la fois pour Alfa Romeo et pour l’automobile en général.

Inspiré par les performances des Auto-Union, Wifredo Ricart opte pour une architecture à moteur en position centrale arrière et longitudinale, une première pour Alfa Romeo. Le moteur en question est original, de type boxer 12 cylindres, à course courte, pour 1,5 litre de cylindrée, le tout suralimenté par deux compresseurs. Ce moteur permet un centre de gravité bas et une carrosserie plus profilée, autorisant sur le papier de meilleures vitesses de pointe.

En effet, le style de la 512 rompt sensiblement avec les précédentes machines du Biscione. L’avant, arrondi dans le pur style streamline de l’époque, lui donnera le surnom de « voiture cigare », alors que la poupe se distingue par une queue en pointe qui doit accentuer l’appui aérodynamique. Le réservoir de carburant est placé directement derrière le conducteur et la boîte de vitesses derrière l’essieu arrière. La suspension est également améliorée avec l’adoption à l’arrière d’un pont type De Dion avec barre de torsion longitudinale, et des amortisseurs télescopiques.



Deux tests, puis les affres de l’Histoire
Malgré l’éclatement de la guerre (l’Italie n’y entre officiellement qu’à partir de Juin 1940 avec son « coup de poignard dans le dos ») Alfa Romeo continue en 1940 de travailler sur la conception de la nouvelle voiture de Grand Prix. Au début du développement, le moteur est donné pour 225 chevaux, puis un test sur banc le mesure à 370 ch à 8600 tr/min. Cependant, au musée Alfa Romeo, où les deux 512 sont exposées, il est mentionné que la voiture atteindrait une vitesse de pointe de 350 km/h pour une puissance de 550 ch à 11 000 tr/min. Difficile de valider de tels chiffres, car les voitures n’ont officiellement jamais participé à une course. Mais on peut rêver !
Deux tests sont néanmoins réalisés. Le 19 juin 1940, une Tipo 158 montée avec la suspension arrière de la 512 est pilotée sur l’autoroute Milan-Varèse par Attilio Marinoni, qui, malheureusement, décède dans un accident avec un camion. En septembre 1940, l’Alfa Romeo Tipo 512 est pour la première fois officiellement testée par le mécanicien et pilote d’essai Consalvo Sanesi à Monza. Alors que la voiture atteignait des vitesses élevées sur la piste, Sanesi a été visiblement refroidi par la maniabilité de la voiture.

Évidemment, la suite des évènements politiques et militaires rend tout cela bien anecdotique. Les deux prototypes sont bloqués dans une usine, certaines rumeurs parlant d’un travail de développement qui s’est poursuivi jusqu’en 1943, mais sans succès. Après la guerre, Alfa Romeo décide de prolonger la carrière de la 158 pour la reprise des compétitions, avant de lui donner comme descendante la 159 qui triomphera sur les deux premiers championnats du monde de F1. La 512 restera une voiture de course mort-née, dont on se demande ce qu’elle aurait été capable de faire en conditions réelles !


Merci pour cet article.
On ne peut qu’aimer Alfa Romeo.